Loi sur l’accès à l’information : l’« adopter » ne suffit pas
Ouestafnews – Au Sénégal, on se bat encore pour l’adoption de la loi sur l’accès à l’information. Mais l’adopter suffira-t-il pour faciliter l’accès des citoyens et des journalistes à l’information ? Rien n’est moins sûr. Au Niger, autre pays d’Afrique de l’ouest, une loi a déjà été adoptée, mais au fond rien n’a changé. Pourquoi ? Ouestaf News s’est donc intéressé à l’exemple nigérien.
En octobre 2021, « dans une enquête réalisée sur les permis miniers au Niger, nous avions été convoqués au commissariat pour nous entendre dire que les documents révélés sont authentiques mais que nous les avions volés », indique le journaliste d’investigation et directeur de publication du journal « L’Evénement du Niger », Moussa Aksar dans un entretien téléphonique avec Ouestaf News.
Selon le journaliste, lors des enquêtes, « il est difficile d’avoir même des répondants officiels quand les personnes sont incriminées, à fortiori quand il est nécessaire d’avoir accès à l’information », fait-il savoir.
« (…) Les journalistes nigériens ont toujours ce problème d’accès à l’information surtout quand ils font la demande eux-mêmes », renchérit le journaliste Souleymane Oumarou Brah, dans un échange d’e-mail. Brah est le coordinateur de l’Association nigérienne des journalistes pour l’éducation à la paix et à la bonne gouvernance (ANJEPAG-Niger).
Au-delà des cas ci-dessus indiqués, c’est l’ensemble des professionnels des médias qui sont en situation délicate du fait de l’absence de règles organisant l’accès à l’information. Et la situation perdure.
Le problème de l’accès à l’information et aux documents considérés comme d’intérêt public est encore plus accentué « au niveau de l’administration publique nigérienne », ajoute Moussa Aksar.
Pourtant, le Niger a, dès février 2011, adopté une loi portant accès à l’information publique et aux documents administratifs. Elle est garantie par la Constitution de 2010 dont l’article 31 dispose : « toute personne a le droit d’être informée et d’accéder à l’information détenue par les services publics dans les conditions déterminées par la loi ».
L’objet de la loi est de permettre aux citoyens, journalistes et chercheurs d’avoir un meilleur accès aux informations au niveau de l’administration publique ou privée, explique Souleymane Oumarou Brah.
Ce droit trouve son fondement dans l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Il ressort de ces dispositions que « chercher et recevoir » les informations constitue le socle du droit d’accès à l’information détenue par l’administration publique.
L’idée de cette loi est que « l’information puisse participer à la lutte contre la corruption », souligne le coordonnateur régional médias à l’Institut Panos Afrique de l’Ouest, Birame Faye, lors d’une conférence publique à l’Ecole supérieure de journalisme, des métiers de l’Internet et de la communication (E-jicom), le 30 mars 2022.
Dans ce même texte, l’article 5 dispose que « l’accès à l’information publique est garanti et égal pour tous les usagers sans aucune discrimination ».
Elle ajoute que les responsables des administrations centrales et déconcentrées de l’Etat, les autorités locales, « sont tenu(e)s de rendre disponibles et de communiquer les documents administratifs et informations communicables qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues » par cette loi (article 8).
Une loi avant-gardiste mais « pas effective »
Au Niger, cette charte sur l’accès à l’information est « une option pour mettre un terme aux récurrentes poursuites des journalistes pour diffamation et/ou vol-recel de documents » administratif, explique à Ouestaf News, l’ancien président de la Maison de la presse nigérienne, Boubacar Diallo, dans un entretien téléphonique. Par contre, « la loi n’est pas effective, faute de décret d’application », se désole-t-il.
« Les politiques refusent encore l’effectivité de cette loi car (…) il y a trop d’opacité dans les affaires publiques », mais aussi à cause « de nombreux scandales qui émaillent la gestion du Niger ».
Fin juillet 2021, plusieurs fonctionnaires de l’administration nigérienne ont été emprisonnés pour leur implication présumée dans une affaire de détournement de huit milliards FCFA au préjudice du Trésor public.
« Il y a beaucoup de problèmes dans le panier. Et je ne pense pas que les autorités aient vraiment intérêt même à promulguer cette loi », soutient M. Aksar, par ailleurs président du conseil d’administration de la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (Cenozo).
« Obstacles politiques, culturels et administratifs »
Pour être mieux imprégné des facteurs bloquant l’entrée en vigueur de la loi d’accès à l’information, Ouestaf News a contacté le directeur de cabinet du médiateur de la République, Moustapha Oumani Kadi. Après un rendez-vous fixé d’un commun accord le 14 avril 2022 pour un entretien, il est resté injoignable et inaccessible jusqu’à la mise en ligne de cet article. Un faux bond qui en soi donne une idée des difficultés que peuvent expérimenter les journalistes avant d’entrer en possession de l’information.
Les explications de M. Kadi étaient d’autant plus bienvenues qu’au Niger, le médiateur est le garant du respect du droit d’accès à l’information publique et de manière générale, c’est lui qui supervise la mise en œuvre de la législation.
Le 28 septembre 2021, lors de la 2ème édition de la journée internationale sur l’accès universel à l’information, le médiateur de la République, Ali Sirfi Maïga, cité par le journal Le Sahel, avait soutenu qu’il est « primordial d’unir les efforts pour que l’accès à l’information devienne effectif pour tous ».
M. Maïga avait également assuré que son institution comptait « poursuivre, avec l’appui du gouvernement (…), les efforts en vue de surmonter les obstacles politiques, culturels et administratifs qui sont de véritables freins à la pleine effectivité de ce droit fondamental ».
Selon Transparency International, l’adoption rapide des règlements afférents à la loi d’accès à l’information est « fondamentale pour ne pas perdre l’élan initial et pour faire appliquer la loi au plus vite ».
« Si les modalités pratiques d’application sont adoptées trop tard, la loi sera inefficace », avertit l’ONG basée à Berlin dans une étude intitulée « Loi sur l’accès à l’information : impact et mise en œuvre », publiée en 2014.
Cet écart peut impacter sur l’application de la loi et sur l’implication de la société civile et des médias, souligne le document.
Rétention d’information et intérêt général
Cette loi met l’accent sur les informations ou documents communicables et répertorie les institutions chargées de fournir ces informations au public. « L’accès à l’information est conditionné de manière proactive ou sur demande », indique Souleymane Oumarou Brah.
Les documents communicables aux journalistes et au public en général sont divers. Ce sont « les rapports, études, documents d’orientation ou des politiques publiques, compte rendu, procès-verbaux, statistiques, directives, instructions, circulaires, notes de service et réponses ministérielles ».
Quant aux documents non communicables, il s’agit de ceux relatifs au « secret des délibérations du gouvernement et des autorités responsables relevant du pouvoir exécutif ; au secret-défense ; à la sûreté de l’État, à la sécurité publique ou à la sécurité des personnes ; à la monnaie ou au crédit public », entre autres.
Néanmoins, souligne la Plateforme africaine pour l’accès à l’information (APAI), il ne saurait être question de laisser aux seules autorités le soin de définir ces documents non communicables.
« Ces exceptions doivent être strictement définies et la rétention d’information ne doit être autorisée que si l’organe peut démontrer qu’il y aurait un préjudice important si l’information venait à être publiée et s’il est clairement démontré que l’intérêt général bénéficierait plus de la rétention de l’information que de sa divulgation », explique l’APAI dans une déclaration en date du 19 septembre 2011.
En outre, Selon la plateforme, aucune information relative aux violations des droits de l’homme, ou aux dangers imminents, à la santé ou à la sécurité ne doit faire l’objet de rétention pour une quelconque raison.
Au Niger, certains acteurs craignent que même si la loi d’accès à l’information est promulguée, la situation n’en changera pas pour autant, du moins dans l’immédiat.
« Il y aura quand même, à plusieurs niveaux de l’administration, des blocages volontaires qui seront opposés aux journalistes pour accéder réellement à l’information ». Ceci, du fait de « la forte caporalisation d’institutions étroitement liées aux décideurs politiques », estime Moussa Aksar.
De plus, la loi sur « l’interception de certaines communications émises par voie électronique », adoptée en mai 2020, et la loi sur la cybercriminalité (juin 2019), entravent également l’accès à l’information dans le pays, selon le journaliste.
Dans la matérialisation de la loi d’accès à l’information, « il y a aussi le cadre politique et démocratique qui influe sur les comportements et sur les pratiques », souligne Birame Faye.
Pour les Sénégalais qui se battent pour l’adoption de la loi sur l’accès à l’information depuis, ce sont là des leçons à retenir. L’adoption « seule » ne changera pas grand-chose.
COLLECTIF 24
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